Continuer 1
C O N T I N U E R
Selon la définition qu'en donne le dictionnaire, continuer c'est ne pas s'arrêter, ne pas interrompre les actions en cours de déroulement, poursuivre ce qui a été commencé. En mars de cette année, on nous a demandé de nous arrêter pour un temps indéterminé, d'appuyer sur le bouton pause, de stopper tout ce que nous avions entrepris et d'attendre.
A ce moment précis CONTINUER a soudain revêtu une importance bien particulière. Car pour vivre l'arrêt il faut savoir continuer. Ne pas s'arrêter d'espérer, de rêver, d'imaginer, de créer, de se projeter, de se réinventer, de donner du sens à une vie brusquement réduite comme une peau de chagrin.
Toutes petites, mais ce sont les annonciatrices du printemps. Les primevères sont les premières fleurs à pointer le bout de leur nez dans nos jardins, juste après les perce-neiges qui restent, quant à elle, des fleurs de l'hiver. Trois fleurettes dans un mini vase improvisé suffisent à faire mon bonheur du jour.
CONTINUER malgré ce fichu virus qui est venu perturber, gâcher le cours de nos existences, en interrompre certaines, remettre en cause nos certitudes, nos jours paisibles, notre liberté de mouvement, notre vision du monde, nos relations humaines, nos projets, notre avenir.
En mars, les jonquilles lancent le début d'un festival floral qui ne prendra fin qu'à l'automne suivant et pendant lequel les fleurs rivalisent d'ingéniosité pour attirer notre oeil. Ma préférence va à cette variété de jonquilles jaune pâle. Elle semblent rentrer d'un bal, les jupons de leur robe un peu chiffonnés d'avoir valsé à en s'étourdir jusqu'au point du jour.
J'avoue qu'au mois de mars, comme beaucoup, je me suis pris un véritable coup de massue sur la tête. Littéralement assommée j'ai été. Bien sûr il y avait ce virus qui sévissait dans un coin du monde, mais la Chine c'est loin. Bien sûr le virus s'était sensiblement rapproché mais toujours il paraissait lointain et dans une réalité autre que la notre. Emprisonnés dans un hiver interminable sujet aux sautes d'humeur d'une météo pour le moins capricieuse, nous étions tournés vers ce printemps qui devait nous offrir un renouveau tant attendu ainsi que de nouvelles perspectives.
Le petit chemin derrière la maison la veille du confinement. Cueillir quelques branches fleuries pour ramener un peu de gaieté dans la maison.
Mademoiselle February est une poupée de tissu créée par Laurette. Elle aime marcher dans les petits chemins de campagne, porter des robes légères, avoir les cheveux dénoués et cueillir des brassées de fleurs des champs sur son passage. Elle aime la liberté, les grands espaces, le ciel bleu et la caresse du soleil sur sa peau. Elle aime danser et rêver et je trouve qu'elle me ressemble un peu , beaucoup......
A la place, sans l'avoir demandé nous avons reçu un livre aux pages blanches, un agenda sans rendez-vous, un intervalle sans limite aucune. Que faire de tout ce temps subitement disponible pour qui passait son temps à courir après ? La crainte de manquer de lecture étant chez moi nettement plus forte que celle de manquer de papier toilette, j'ai rapidement fait l'emplette de quelques volumes bien généreux, pour occuper sainement mon esprit. J'ai ressorti, mes pinceaux et mes godets d'aquarelle, mes fils à broder et me suis dit qu'enfin j'allais trouver le temps nécessaire à la rédaction de ce roman qui trotte depuis des années dans un coin de ma tête. Arriver à détourner en positif la contrainte imposée était un exercice qui me semblait à ma portée.
Que nenni ! C'était sans compter sur cette fameuse " continuité pédagogique " qu'il nous a été donné d'assurer où le verbe CONTINUER a pris tout son sens. J'ai troqué mes classes d'élèves pour un écran d'ordinateur avec lequel j'ai commencé un dialogue ininterrompu qui s'est étalé bien au delà de mes heures habituelles de service et m'a valu de belles migraines. Ce confinement m'aura au moins appris une chose : je ne suis pas faite pour passer des heures devant un écran et je préfère cent fois être confrontée à des classes remplies d'adolescents tout remuants qu'ils puissent être. D'ailleurs, après un mois, certains me manquent. Mais je suis néanmoins contente d' avoir contribué à maintenir un semblant de normalité dans le quotidien de jeunes pour lesquels les repères d'une journée de classe avaient subitement disparu. Et c'est sans doute cela qui a été le plus important, plus que le partage de connaissances.
J'ai tout ce qu'il faut : un bureau lumineux et, un cahier neuf, un beau stylo offert par Mireille, un fauteil confortable, et des brassées de fleurs blanches, aubépine et stellaires mais rien n'y fait, je n'arrive pas à me lancer dans la moindre activité d'écriture. Vertige et angoisse de cet entre-deux, de cet "entre-temps".
Mais le reste du temps ? En dehors de mes heures d'astreinte, j'ai pas mal tourné en rond comme anesthésiée et incapable de fixer mon attention sur la moindre activité. Les états d'âme se sont enchaînés et je suis passée de l'incrédulité à l'inquiétude pour revenir à la confusion la plus totale, l'angoisse et la sidération. Un vertigineux tourbillon émotionnel auquel il est difficile de ne pas céder sous peine de ne pas arriver à CONTINUER de vivre tout simplement. Ma vie habituelle étant tellement ourlée de contraintes que j'ai du mal à gérer le trop plein d'espace vide disponible et je reste admirative devant toute cette créativité qui s'exprime dans tous les domaines étalée sur les pages des réseaux sociaux, ces trésors d'inventivité déployés. Il y a celles qui pâtissent à tour de bras, font leur pain, se lancent dans des créations textiles, des tricots de grande envergure, des rêves de papier, des défis artistiques, des séances de yoga, de sport ou de méditation. Pour ma part j'en suis pour l'instant assez incapable. Mon cerveau est envahi de pensées parasites, de craintes réelles et fondées pour des personnes proches. Mes nuits sont peuplées de cauchemars et remplies d'insomnies. Je me sens si impuissante devant toute cette détresse humaine, entre ceux qui sont confinés à plusieurs dans de minuscules appartements, ceux qui ont perdu ou vont perdre leur moyen de subsistance, ceux qui n'ont pas assez à manger, ceux que la solitude et l'isolement tuent implacablement à petit feu, ceux qui pleurent un être cher et ceux qui partent seuls au monde. J'ai parfois la sensation d'absorber toutes ces histoires à la fois, et d'observer de loin le naufrage d'une humanité toute entière avec un fort sentiment de culpabilité.
Je crois bien que les personnes pour qui j'ai le plus peur et qui ne quittent pas vraiment mon esprit ce sont les femmes victimes de violence conjugale enfermées avec leur tortionnaire.
Après plusieurs semaines de confinement les godets d'aquarelle me narguent toujours du haut de l'étagère où ils sont posés. J'ai à peine esquissé quelques points de broderie sur la toile, je n'ai pas commencé à trier les centaines de photos en attente et mon roman est encore à l'état d'embryon dans un coin de ma tête. Je lis beaucoup mais la seule activité qui arrive à me vider la tête c'est le jardinage. Armée de mes jouets du moment, bêche, fourche, râteau, sécateur, brouette et indispensables gants, j'ai tenté d'oublier un tant soit peu les nouvelles anxiogènes qui nous parviennent du monde extérieur et ce démoralisant décompte macabre quotidien en me lançant à corps perdu dans des activités physiques pour lesquelles penser n'est pas indispensable. Débroussaillage et désherbage sans cesse remis au lendemain sont subitement devenus les maîtres mots de mon existence. Vivre à la campagne est subitement devenu un luxe.
Rare vue de l'arrière de la chaumière. Depuis la première photo, le terrain au fond du jardin a été débroussaillé et aplani et se tient prêt à accueillir une cabane pour les enfants. Les semis de courges et de salades ont depuis été mis en pleine terre. Nous sommes encore loin de l'autarcie dans le domaine de la production de légumes mais c'est un premier pas !
La nature, elle, se moque bien de cet ennemi invisible qui nous empoisonne la vie. Enfin, elle tient sa revanche sur les hommes et se livre à des débauches d'explosions colorées qui claquent sous le bleu d'un ciel sans nuage. Le rouge carmin des heuchères rivalise avec le jaune éclatant du Mahonia. La glycine a rarement été aussi foisonnante et ennivre de son parfum puissant et sucré toute personne passant le seuil de la porte d'entrée.
Comme beaucoup, je me suis essayée au motif végétal esquissé avec un feutre blanc sur les fenêtres du salon.Inspiration Jesusauvage.
Ma préférence va néanmoins encore et toujours aux fleurs blanches. Dans le jardin le lilas blanc, le seringat et le viburnum( boules de neige ) ne sont pas encore totalement épanouis mais la spirée est resplendissante. Je lorgne avec envie sur le cerisier du voisin qui promet des récoltes abondantes.
CONTINUER, c'est ce qu'elle fait cette nature si souvent asservie à l'homme. Et quelle ironie splendide que celle de voir les oiseaux s'envoler libres au delà des frontières de notre univers pour l'instant restreint. Quelle ironie pour des confinés entre les quatre mur de leur habitation que celui de ne pouvoir contempler que de loin ce merveilleux printemps sans pouvoir véritablement en profiter. Ce n'est qu'une juste revanche pour tout le mal que l'homme lui a fait depuis tant de temps.
Ecouter ce texte prémonitoire d'une infinie justesse écrit en 2008 par Fred Vargas est troublant. CONTINUER à agir de la même manière qu'auparavant serait irresponsable et dramatique. Nous ne pourrons pas dire que nous n'étions pas au courant. Mais pour le bien de la planète Terre et de l'humanité toute entière, saurons-nous collectivement tirer les justes leçons de cet épisode dramatique et saurons- nous nous remettre en question et CHANGER un certain nombre de choses ?
J'ai déjà reçu des critiques acerbes à la diffusion de cette vidéo, le texte étant lu par Charlotte Gainsbourg dont le mode de vie ne respecte, m'a t'on- dit, que peu l'éthique prônée par ces mots. Je ne rentrerais pas dans la polémique et de toutes manières cela ne change pas la valeur de ce propos auquel j'adhère. Par extension, je trouve que la période difficile traversée avec plus ou moins de difficultés par les uns et les autres, exacerbe les critiques. Les déchaînements de haine et les attaques personnelles sont de plus en plus nombreuses sur les réseaux sociaux où certains reprochent tout et n'importe quoi à d'autres comme le fait d'avoir un jardin, ou de vivre à la campagne justement, au risque d'oublier que vivre à la campagne à l'année c'est accepter les contraintes y sont liées comme l'éloignement de tout et l'isolement. Par ailleurs, je suis soulevée par une vague d'émotion vive quand je vois les élans de solidarité et de générosité dont font preuve tant d'anonymes et qui répondent au dévouement des professionnels qui servent notre quotidien, malades ou pas. De quoi avoir espoir dans la nature humaine.
Pour finir ce billet sur une note optimiste j'ai choisi cette photo prise en septembre dernier. Une époque si proche et si lontaine à la fois. Un instant fragile et fugace, toute l'innocence et la pureté de l'enfance capturés dans ce cliché pris à la volée sur une plage de Normandie. Trois petites fille et l'immensité de la mer, les derniers rayons du soleil de cette fin d'été. Les yeux tournés vers la ligne d'horizon, l'espoir de jours meilleurs , de la légèreté et de l'insouciance retrouvées. Parce qu'ils reviendront....
Clore ce billet par la formule consacrée PORTEZ VOUS BIEN.
Vous donner rendez-vous pour la deuxième partie de ce billet CONTINUER 2 dans laquelle je poserai une question existentielle s'il en est : A l'heure où les blogs sont en réelle désaffection et ne semblent plus intéresser grand monde est-il vraiment utile de continuer ?
CONTINUER ce blog ou pas, tel est le dilemme.
M A R I E *