Jardins anglais
Quelques jours de vacances en commun et Chloé qui avait très envie d'un petit " road trip " en Angleterre avec sa maman, alors vite rechercher un hébergement : un peu bed and breakfast et beaucoup camping, finances oblige, faire un sac, charger la voiture avec tente, matelas, duvets, réchaud et filer sur Calais embarquer sur l'un des ferries du matin. Coupure totale, pas de connexion internet, pas de portable, une immersion totale et complète dans ce pays dans lequel je me sens si bien.
Vous épargner les visites d'Oxford et de Stratford upon Avon la ville du barde ( j'ai nommé Shakespeare ) avec leurs hordes d'adolescents venus du monde entier pour y perfectionner leur anglais et quadrillant la ville en parlant, ou plutôt en criant ( pourquoi les adolescents se sentent-ils donc obligés de crier pour communiquer ? ) tous bien fort dans toutes les langues du monde sauf l'anglais ! Trop de cohue, trop d'agitation, on s'y sent un peu perdu, mieux vaut réserver la visite de ces villes à d'autres moments de l'année quand tout ce petit monde est retourné dans son pays respectif.
Préférer vous emmener dans deux jardins anglais complètement différents, loin des foules estivales. Avec tout d'abord un coin un peu atypique : la réserve naturelle de Dungeness, sur la côte sud du Kent, à deux encablures de l'adorable petite ville de Rye dont j'avais déjà parlé ici et où je ne me lasse pas de retourner.
Une lande rugueuse, balayée par les vents, à la beauté âpre et sauvage. Une terre farouche et secrète qui ne se laisse pas facilement appréhender. Il faut aller loin, au bout d'un chemin pierreux pour se retrouver au milieu de cette immensité à peine ponctuée par les petites cabanes en bois goudronné et les embarcations des pêcheurs.
Au début l'oeil ne perçoit rien ou presque si ce n'est une immensité indistincte de petits galets puis il s'habitue et se rend compte que ce désert qui semblait aride est en fait très fleuri. L'un de ses hôtes les plus exhubérant est le chou marin ou Crambe maritime qui s'épanouit avec volupté sur ce sol caillouteux et s'offre même le luxe d'un écrin de graminées presque couchées par les vents d'ouest.
J'étais déjà venue à cet endroit mais j'avais envie de revenir y voir Prospect Cottage, la maison du cinéaste Derek Jarman, décédé trop tôt du Sida en 1994. Derek Jarman tombe amoureux de Dungeness et se porte acquéreur dans les années 80 d'une ancienne maison de pêcheur qu'il rénove au gré de ses visites. C'est dans la désolation de ce paysage qu'il crée un jardin sans aucune délimitation avec la lande qui entoure la maison. Ses efforts pour y faire pousser des plantes reflètent le combat qu'il mène contre la maladie et jardiner devient sa thérapie.
Il est facile de trouver Prospect Cottage, reconnaissable entre tous grâce à ses encadrements de fenêtre peints en jaune.
Un poème de John Donne ( Poète anglais, chef de file de la poésie métaphysique 1572 -1631 ), dont voici la traduction, recouvre le mur méridional du cottage :
Le soleil à son lever Vieux sot empressé, Soleil fougueux, Pourquoi viens-tu, Par fenêtres et tentures nous quérir ? Saisons d'amants sont-elles à ta courbe attelées ? Petit pédant effronté, va donc gronder Ecoliers attardés et apprentis ronchons, Prévenir les piqueurs, que le Roi veut chasser, Et rappeler aux fourmis des campagnes que la moisson attend ; L'amour, cela dit, ne connaît ni climat ni saison Ni heure ni jour ni mois, lesquels ne sont qu'oripeaux du temps. Soleil, ton bonheur n'est rien face au nôtre De voir ici le monde en raccourcis, Ton grand âge réclame du repos et, puisque ton devoir Est de chauffer ce monde, il est rempli en nous chauffant, Brille donc pour nous, et tu règneras partout ; Que cette couche soit ton axe et ces murs ta sphère.
Le caractère minéral du jardin est intensifié par les cercles de pierre disposés ça et là , sensant rappeler dolmens et cromlechs des temps immémoriaux. Et puis beaucoup de bois flotté, de pieux rouillés, une épave de bateau qui, tous, contribuent à accroître sa beauté singulière.
(Dernière photo issue du net )
La fulgurance des couleurs dans ce lieu inhospitalier surprend. Les jaunes explosent, les violets , les roses et les oranges claquent. La flore est somme toute beaucoup plus variée qu'on ne pourrait au premier abord le penser.
(Dernière photo issue du net)
Non loin de la maison, un phare bien sombre veille aux destinées de ce bout de terre et le soir la centrale nucléaire ( qui doit heureusement définitivement fermer dans une dizaine d'années ) scintille à l'horizon.
Le livre de Derek Jarman " Un dernier jardin ", est l'un de mes livres de chevet depuis longtemps déjà. Il compte l'histoire de ce jardin, ultime oeuvre de ce metteur en scène de la nature et véritable hymne à la vie. Une prose sensible et intelligente , très esthétique pour célébrer ce lieu étrange et merveilleux.
Derek Jarman plébiscitait les "jardins sauvages " en opposition aux jardins trop manucurés qu'il nous est parfois donné de voir. Transition parfaite pour vous emmener dans un deuxième jardin, celui de Great Dixter, conçu par le jardinier-paysagiste Christopher Lloyd qui se situe dans l'East Sussex. Une maison du 15 ème siècle, couplée à une maison du 16ème siècle avec une extension réalisée en 1910-1912 par le célèbre architecte Edwin Luytens.
Great Dixter est l'exemple du jardin anglais poussé à l'extrème avec une profusion de fleurs et de plantes savamment associées pour offrir aux promeneurs un tableau digne d'un peintre impressioniste. Cette opulence végétale semble très naturelle mais elle est indéniablement maitrisée par les mains expertes du jardinier qui l'a conçue. Sur les bords des allées, les fameuses "mixed borders" dont je cherche à percer le secret.
J'ai aimé sur cette terrasse l'accumulation des pots. Une idée à retenir.
Admirer la toiture du majestueux séchoir à houblon, très courant dans cette partie de l'Angleterre.
Et puis un délicieux fouillis où les plantes semblent pousser de la manière la plus naturelle qui soit.
Le "sunken garden " s'organise autour d'un bassin octogonal.
La maison est visible de tous les côtés du jardin mais paraît chaque fois bien différente avec des ambiances de couleur changeantes.
La magie des beaux jardins opère toujours sur moi et je repars toujours de ces visites avec la tête pleine d'envies et d'idées pour mon petit jardin, beaucoup plus modeste toutefois et dans lequel il y aurait beaucoup de travail pour obtenir un résultat digne d'intérêt !
La suite du voyage très bientôt .........
ENJOY
MARIE *